Sceau des consuls de Cahors (1338)
LES BARASC DE BEDUER
Quercy Médiéval
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Les Barasc de Béduer : heurs et malheurs
d'une famille noble au Moyen âge quercynois

par François Petitjean

Publication initiale :
Quercy Recherche
n° 90, octobre-décembre 1997.

Les Barasc, barons quercynois
Usurpation des églises de Blars et de Caniac
Conflits avec les Cardaillac
"Une scène des plus tragiques" à Marcillac
Troubles à Orniac et à Sabadel
Un héritage mouvementé à la veille de la guerre de Cent ans
Conclusion : les Barasc pris en tenaille
De l'aristocratie quercynoise des XI-XIIè siècles émergent quelques grands lignages, peut-être issus des vicomtes de Cahors ou des grands propriétaires fonciers du Xè siècle, tels les Gourdon et sans doute les Cardaillac. Moins puissants, mais dominant largement les simples milites, apparaissent des lignées intermédiaires de "maîtres de châteaux", comme les Thémines ou les Pestilhac.
La famille Barasc, qui nous intéresse ici, est de ces familles. Sans avoir l'envergure des Cardaillac ou des Gourdon, ces barons dominent la vallée du Célé depuis leur château de Béduer jusqu'à Cabrerets. Pendant tout le bas moyen âge, ils jouent un rôle non négligeable dans l'histoire du Quercy, dont ils suivent les péripéties : il n'est pas un grand événement auquel ils ne participent et donnent même un évêque de Cahors au XIIIè siècle.
Mais, au-delà de ce qui peut sembler être la vie "normale" d'une lignée de seigneurs quercynois, les Barasc semblent posséder une caractéristique particulière : leur histoire est jalonnée, au cours de plusieurs siècles, d'incidents violents.
bullet_b.gif (912 octets)Les Barasc, barons quercynois
L'origine de la famille Barasc n'est pas bien connue. Barasc est d'abord un prénom (au sens de l'anglais surname), fort répandu à l'époque et dans la région de la vallée du Célé où commence l'histoire de la famille. Albe pense que les Thémines et les Barasc ont une origine commune sans être vraiment démenti par d'Alauzier, ce n'est qu'une hypothèse : "Il nous est impossible, écrit Albe (monographie de Béduer), de savoir si les de Barasc sont une branche des Thémines ou les de Thémines une branche des Barasc" (sur la généalogie des Barasc voir aussi d'Alauzier, Généalogie des Barasc. Lacoste donne également des éléments généalogiques).
La généalogie de cette famille doit être manipulée avec précaution : du XIè au milieu du XIVè siècle, les aînés s'appellent tous Arnaud ou Déodat (forme occitane de Déodatus, on rencontre aussi Dieudonné ou Dorde), de sorte qu'il est quelquefois difficile de les distinguer.
Les Barasc apparaissent dans l'histoire du Quercy dès la fin du XIè siècle, avec Déodat, seigneur de Béduer (le château de Béduer est attesté dès la moitié du XIè s.), à qui a été donnée, à moins qu'il ne l'ait prise, l'avouerie de l'abbaye de Marcilhac. Ce même Déodat, ainsi que de nombreux seigneurs quercynois, accompagne Bertrand, comte de Toulouse, à la croisade de 1109. Un peu plus tard, en 1193, un Arnaud de Barasc, descendant de Déodat, apparaît comme témoin dans l'acte de cession de Roc Amadour à Tulle.
C'est le fils d'Arnaud, un autre Déodat, qui, le 12 juin 1214, prête serment à Simon de Montfort, chef de la croisade des Albigeois. Cela ne l'empêche pas de passer sans délai dans le camp du comte de Toulouse et ses fils Arnaud, Déodat et Guillaume de participer en 1219, aux côtés de Raymond VI, à la défense de Toulouse assiégée par Louis VIII. Il n'est pas surprenant de voir les Barasc prendre le parti du comte de Toulouse, leur suzerain, le serment à Simon de Montfort pouvant n'être qu'une attitude tactique.
A cette époque, les Barasc, frères ou cousins, sont seigneurs de Béduer, Montbrun, Cabrerets, Lissac, Larganol... Ils ont également des fiefs en Rouergue, mais leurs possessions sont principalement localisées dans un triangle Figeac-Assier-Cabrerets. Les mariages conclus avec les grandes familles (unions avec les vicomtes de Bruniquel, les Cardaillac-Lacapelle, puis, plus tard, les Hébrard de Saint-Sulpice) montrent que la lignée est bien installée dans le paysage quercynois.
C'est en 1286 que Déodat Barasc, seigneur de Montbrun, fonde par testament le prieuré de Lissac qu'il lègue aux cisterciennes, auxquelles il donne également le Poujoulat qui sera lieu de sépulture de nombreux membres de la famille. Selon ses volontés, la prieure sera "prise, s'il est possible, dans la maison de Barasc". Quant au prieuré de Lissac, il sera soumis à l'abbaye de Leyme, "à laquelle la prieure sera tenue de payer deux marbotins d'or en signe de dépendance".
Deux branches de la famille apparaissent dans l'assignation de 1287, celle de Raymond Barasc (qui comprend Cabrerets, Larnagol - non compris la Toulzanie -, Saint-Martin Labouval et Cénevières) et celle d'Arnaud Barasc, seigneur de Béduer (Carayac, Boussac, etc).
Comme dans toutes les familles nobles de l'époque, de nombreux fils et filles Barasc sont d'Eglise. Le plus connu est Géraud, élu en 1236 évêque de Cahors (il meurt en 1250). Au moyen âge, les évêques sont, à quelques exceptions près, issus des familles nobles : on y trouve des Cardaillac, des Gourdon, un Hébrard, etc... Le successeur de Géraud, Barthélémy de Roux, est de la maison de Valle-Ruffi (Valroufié).
En 1250, Guillaume (fils du Guillaume rencontré à Toulouse) est chanoine. Vers 1308, un autre Guillaume (fils d'Arnaud) est archiprêtre de Saint-Cirq-Lapopie, tandis qu'une fille, Gria, est prieure de Lissac. En 1329, un Dorde est prieur de Vailhoures (en Rouergue). En 1398, c'est un autre Dorde qui est pourvu de la commanderie de Palhes (diocèse de Mende). On ne s'étonnera pas non plus de retrouver Bertrand de Béduer, sénéchal de l'évêque Bertrand de Cardaillac, à la cour du pape. On pourrait multiplier les exemples...
Les Barasc s'illustrent pendant la guerre de Cent ans. Dorde, châtelain de Gignac en 1346, reprend en 1363 Saint-Cirq-Lapopie alors occupé par le camp Anglais, ce qui lui vaut une récompense des consuls de Cahors. On le retrouve en 1369, participant à la défense de la ville qui s'est révoltée contre le Prince Noir. En 1371, il négocie une sufferte (trêve) avec Bernard de la Salle, qui occupe Figeac, puis en 1373 participe à une ligue anti-anglaise de seigneurs quercynois.
Au XVIè siècle, la seigneurie de Béduer passe par héritage aux Narbonnès puis aux Lostanges de Saint-Alvère. On perd alors trace de la lignée Barasc, après cinq siècles d'une histoire intimement liée à celle du Quercy.
Il n'y a là rien de vraiment extraordinaire : c'est le sort commun des familles nobles que de combattre et de faire des clercs de leurs cadets. Mais si l'on étudie un peu attentivement la documentation, on constate qu'en dehors des événements qui viennent d'être rapportés (et en excluant la litanie des procès propre à l'époque), la famille Barasc intervient dans un nombre important d'incidents qui ne sont peut-être pas les simples faits divers qu'ils semblent être au premier abord.
bullet_b.gif (912 octets)Usurpation des églises de Blars et de Caniac
La première affaire apparaît à la toute fin du XIè siècle. Elle concerne les difficultés que l'abbaye de Marcilhac rencontre avec les Barasc et qui sont rapportées dans la Chronique de Marcilhac citée par Lacoste. Cet épisode est également mentionné par Albe (Blars et Béduer), qui se demande si le Barasc dont il est question ici n'est pas plutôt un Thémines car Blars et Caniac sont plus tard des fiefs Thémines et non Barasc.
En cette époque troublée, l'abbé de Marcillac, Etienne, a confié à Déodat et Pierre Barasc, chevaliers de Béduer, quelques fiefs en échange d'une protection armée contre les éventuelles menaces auxquelles l'abbaye pouvait être soumise. Cette pratique était couramment utilisée par les abbayes et monastères pour se protéger. De plus, l'administration de l'abbaye est confiée à leur oncle, prénommé lui aussi Déodat.
Mais les Barasc ont pris plus que ce qui leur a été donné. Ils ont usurpé les églises de Blars et de Caniac : ils perçoivent en lieu et place des religieux les revenus ecclésiastiques de ces paroisses, dîmes et oblations.
Les usurpations d'églises sont, aux XI et XIIè siècles, chose commune. Déjà en 1096, de nombreux seigneurs quercynois, dont ceux de Béduer, sont excommuniés par le pape Urbain II pour avoir usurpé une quarantaine d'églises appartenant à l'abbaye de Figeac. Mais là où le cas des Barasc devient intéressant, c'est dans la durée et la complexité de la procédure qui va permettre à l'abbé de récupérer ses paroisses.
L'abbé de Marcilhac, Guilabert, parvient à se faire rendre l'église Saint-Laurent de Blars. Pour un temps seulement car les Barasc s'en emparent à nouveau...
C'est un autre abbé, Gombert (il était, selon Lacoste, de la famille Barasc), qui parvient à récupérer l'église de Blars, mais doit pour cela payer "une somme d'argent pour affranchir cette église des droits imaginaires qu'ils (les Barasc) prétendaient avoir sur elle". Gombert tente également de retrouver l'église de Caniac - toujours aux mains des Barasc - par le même moyen. Il donne de l'argent à Déodat contre la promesse solennelle de rendre l'église. Déodat prend l'argent mais... garde l'église malgré les pressions de l'évêque de Cahors et des nobles de la région.
En 1109, Déodat, toujours en possession de l'église de Caniac, accompagne Bertrand, comte de Toulouse, dans son expédition en Terre sainte. Il a promis en partant de rendre l'église à son retour, mais il meurt en Palestine. Pris d'un dernier remords, il demande par testament à son épouse et à ses enfants de restituer l'église de Caniac au monastère de Marcilhac, "sans le moindre délai et sans exiger la moindre rétribution" et confie ses dernières volontés à Géraud de Cardaillac, évêque de Cahors qui a accompagné l'expédition, pour qu'il les remette à sa famille et à l'abbaye de Marcilhac.
Mais ses héritiers se moquent du testament ! Ils continuent de posséder l'église et de jouir de ses revenus. Il faut toute la pression de l'évêque de Cahors et de la noblesse locale pour qu'ils se décident à la rendre à l'abbé Gombert... moyennant 300 sous. Ils donnent également la terre de Peyrat que Déodat avait légué par testament au monastère "en réparation des torts qu'il lui avait faits".
L'affaire n'est pas terminée pour autant : un des héritiers, Pierre Barasc, reprend l'église et ne la rend à l'abbé qu'au moment de partir lui-même en Terre sainte, après s'être fait donner une grosse somme d'argent pour couvrir les frais de son voyage. "L'abbé Gombert", précise Lacoste, "ne semble pas avoir survécu longtemps aux démêlés qu'il eut avec sa famille"...
L'abbé de Marcillac n'en sait encore rien, mais ses difficultés avec les Barasc ne sont pas terminées.
bullet_b.gif (912 octets)Conflits avec les Cardaillac
Un peu plus tard, en avril 1259, Déodat Barasc, chevalier, hommage pour les châteaux de Cabrerets (à cette époque, le château de Cabrerets est le château du Diable (ou "des Anglais")) et de Larganol à Alphonse de Poitiers. Les Barasc sont d'ailleurs les premiers seigneurs de Cabrerets connus (Albe, Cabrerets). Alphonse de Poitiers est devenu comte de Toulouse à la mort de Raymond VII (1248) après avoir épousé Jeanne, fille unique de Raymond. Alphonse et Jeanne étant morts sans descendance en 1271, le Quercy est rattaché définitivement au domaine royal par Philippe III.
A cette époque, Vialolles (aujourd'hui, commune de Cabrerets) est un fief distinct de Cabrerets et qui appartient aux Cardaillac. En 1259, Hugues de Cardaillac, coseigneur de Saint-Cirq-Lapopie, hommage au comte de Poitiers pour la villa de Vialolles et de Saint-Hilaire de Valmayre (Albe, Cabrerets).
La cohabitation entre les deux familles n'est pas chose aisée. En 1259 Déodat Barasc se plaint auprès d'Alphonse de Poitiers que Bertrand de Cardaillac a ruiné son moulin de Cabrerets. Les fils de Bertrand, Géraud et Bertrand, auraient achevé la destruction du moulin...
Cet incident est peut-être lié à un contentieux qui oppose les deux familles depuis que les Cardaillac ont acheté le tènement de Durestat au chevalier Galhard de Larnagol, lequel le tenait des Barasc en hommage de fidélité. Déodat considère que, puisque le chevalier de Larnagol était son vassal et lui devait hommage pour cette terre, alors Cardaillac lui doit le même hommage. Il va de soi que les Cardaillac, qui représentent une famille autrement plus puissante que les Barasc, ne partagent pas cette opinion et refusent l'hommage. L'affaire est alors portée devant le comte de Poitiers, qui ordonne deux enquêtes, dont nous ignorons le résultat.
Une dizaine d'années plus tard, en novembre 1269, Hugues de Cardaillac et Déodat Barasc sont en conflit : le premier se plaint au comte de Poitiers que les hommes du second ont "attaqué ses hommes de Saint-Cernin, blessé et même tué quelques uns d'entre eux". Là encore, le sénéchal représentant Alphonse de Poitiers ordonne une enquête, menée par le sergent Berruyer et Gaubert de Rampoux, mais dont le résultat n'est pas connu.
La bagarre avec les Cardaillac continue : en 1270, Déodat Barasc se plaint à nouveau que son moulin de Cabrerets a été détruit par la "famille" de feu Bertrand de Cardaillac. Un arrêt du parlement de Toulouse ordonne au sénéchal de faire une nouvelle enquête...
On notera - nous y reviendrons - que les Barasc sont ici le plus souvent en position d'agressés. Ils subissent les attaques des Cardaillac avec lesquels ils ne sont pas en mesure de lutter.
Ces difficultés n'empêchent toutefois pas les deux lignées de contracter des alliances (Les mariages servent aussi à rétablir la paix. Lorsque c'est le cas, l'Eglise peut même accorder des dispenses de consanguinité à un degré, en principe, prohibé.) : Hélène Barasc, fille de Raymond, petite-fille du Déodat dont les moulins de Cabrerets avaient été détruits, épouse Guillaume de Cardaillac(-Bioule) vers la fin du XIIIè siècle.
bullet_b.gif (912 octets)"Une scène des plus tragiques" à Marcillac
L'abbaye de Marcilhac a récupéré ses églises depuis le début du XIIè siècle, mais les relations avec les Barasc restent difficiles. Lacoste rapporte "une scène des plus tragiques" qui s'est déroulée dans l'abbaye en 1290, quelques jours après Pâques.
Ce jour-là, Raymond Barasc, damoiseau, accompagné de Bertrand de Truffe, son baile (intendant), et de quelques connaissances, Raymond de Grivelia (Gréalou ?), damoiseau, Guillaume du Port, Bernard de Bénech, Arnaud de Villesèque, Pierre de Berganti et Bernard de Cénevières viennent à l'abbaye où ils sont, semble-t-il, bien accueillis. Comment la situation a-t-elle dégénéré ? Nous n'en savons rien. Ce qui est sûr, c'est que les visiteurs ont brutalisé les moines, poussant "la barbarie jusqu'à couper le poing à l'un d'eux, appelé frère Guido".
L'archevêque de Bourges, en visite métropolitaine (l'archevêque de Bourges est le métropolitain (supérieur hiérarchique) de l'évêque de Cahors), arrive à Marcilhac sur ces entrefaites. Indigné par ce qui vient de se produire, il excommunie sur le champ les coupables (sans les nommer...), ordonne à l'évêque de lancer des poursuites puis écrit au sénéchal du Périgord et de Quercy pour le roi de France et au sénéchal de Quercy pour le roi d'Angleterre (on se souviendra l'assignation de 1287 a donné au roi d'Angleterre les droits de justice sur une partie du Quercy).
Curieusement, cet incident n'est pas rapporté dans le compte-rendu officiel de la visite : probablement l'archevêque craint-il de heurter Raymond Barasc de front (nous avons vu qu'il n'avait pas mentionné son nom dans l'acte d'excommunication). Cela tendrait à prouver la puissance des Barasc dans la région : l'agression restera d'ailleurs impunie.
bullet_b.gif (912 octets)Troubles à Orniac et à Sabadel
Lorsque en 1315 les Barasc apparaissent à Orniac (Raymond Barasc y vend des terres ou des cens), les ennuis ne tardent pas. Le 4 avril 1326, Raymond est accusé par le procureur du roi d'avoir, en compagnie de son frère Guillaume et d'Arnaud de Nogarède, "envahi en armes le village d'Orniac, forcé la clôture de l'église, puis frappé et traîné à une portée d'arbalète le recteur, qui était pourtant sous la sauvegarde du roi" (Albe, Ornhac).
Raymond Barasc se défend en disant qu'"il est le seul seigneur d'Orniac, qu'il y a toutes juridictions", que le recteur a été arrêté sans violence, pour excès, enfin qu'il portait des armes à bon droit, étant dans sa juridiction. A-t-il simplement agi en provocateur pour montrer qu'il était maître chez lui ? Le sénéchal de Périgord et de Quercy le condamne à une amende de huit cents livres. Tout en reconnaissant sa culpabilité, le parlement, saisi en appel, ramène à deux cents livres le montant de l'amende.
A la même époque, les Barasc sont aussi à Sabadel. Comme ailleurs, la seigneurie semble menacée. En 1333, Raymond de Barasc, seigneur de Sabadel et d'Ornhac, accuse des gens de noble Déodat, vicomte de Calvignac, d'avoir enlevé des animaux appartenant à des habitants de Blars. Les animaux ont été retrouvés à la fontaine de Branlande, qui est sous la juridiction du vicomte. Lorsque ce dernier est acquitté par le juge-mage (juge professionnel qui exerce de fait les droits de justice du sénéchal) de Cahors, Raymond de Barasc attaque à nouveau. C'est l'occasion d'un long procès qui, paraît-il, nécessite "deux rouleaux de parchemin de 12 et 15 peaux", mais dont on ignore le résultat.
bullet_b.gif (912 octets)Un héritage mouvementé à la veille de la guerre de Cent ans
Le 10 avril 1339, en sa bastide de Saint-Martin-de-Vers (La bastidette, qui subsiste encore sur la colline de la Bastidette (commune de Saint-Martin-de-Vers), Raymond Barasc, seigneur de Béduer, Sabadel, Orniac, Lauzès, Blars et Saint-Martin-de-Vers teste en faveur de Déodat de Buxorn (=Bouyssou), chevalier, fils de sa soeur Cébélie (ou Sybille). Raymond ne survit probablement pas longtemps car dès 1339, Buxorn est dit seigneur d'Orniac dans un compromis passé avec les habitants. Déodat sera également seigneur de Sabadel : en 1346 Noble Raymond de la Garde épouse demoiselle Fine de Boisson, fille de Noble Déodat du Bouyssou (Buxorn), dit seigneur du Bouyssou et de Sabadel) et, pendant quelques années aux alentours de 1360, seigneur de Lentillac-du-Causse (alias Lentillac-Lauzès).
Arnaud, autre neveu de Raymond (fils d'un autre Arnaud, seigneur de Béduer et frère de Raymond), n'accepte pas le testament et engage un procès auprès du parlement de Toulouse pour le faire casser. Il perd le procès mais ne lâche pas prise pour autant : dix ans plus tard, en 1349, il capture Buxorn et lève les revenus de ses terres. Bien légitimement, le kidnappé se plaint au sénéchal et réclame des dommages et intérêts. Arnaud obéit, Déodat est remis en liberté et récupère ses biens.
L'affaire n'en reste pas là et rebondit quatorze années après la mort du testateur. Un certain Huet, à la solde de Barasc, corrompt le gardien de la grosse tour de la Bastidette. Le soir du 1er février, Huet et ses complices (Pierre de Béduer - un Barasc -, Guillaume le Chambrier et une bande d'acolytes) se postent au pied de la grosse tour. A minuit, alors que le chevalier et ses gens sont endormis, le gardien jette une corde du haut de la tour. A l'aide de cette corde, il en remonte une autre, à laquelle on a fait des noeuds à travers lesquels sont passés des bâtons formant des échelons. Cette corde, fixée à un chevron de la tour, est utilisée comme échelle par les assaillants qui montent dans le château dont ils s'emparent. Buxorn, surpris dans son lit, est fait prisonnier. Jusqu'en août, il est gardé captif à La Bastidette, "aux fers, et au pain et à l'eau".
Le parlement réagit rapidement à ce coup de force et rend, en février 1353, un arrêt qui condamne Arnaud "pour avoir occupé les lieux de la Bastidette de Sabadel, Ornhac, Lauzès, Blars et partie de Saint-Martin-de-Vers. Feu Raymond Barasc, oncle dudit chevalier avait la Bastidette de Sabadel et ce lieu lui advint au chevalier tant par donation qu'à titre de (légataire) universel".
L'arrêt n'émeut pas Arnaud, qui garde Déodat captif. Le fils de Déodat, cherchant à faire libérer son père, se pourvoit devant la cour du roi et obtient des lettres prescrivant au sénéchal du Quercy de délivrer son père par la force. Les Archives du Lot conservent le rouleau de parchemin daté de 1354 par lequel le sénéchal de Quercy ordonne "à noble Barassy (Barasc) de rendre et restituer à noble Déodat de Buxurno (Buxorn) les lieux et châteaux de la Bastide Sabadel, Ornhac et autres dont ledit noble sieur de Barassy s'estoit emparé (avec) une armée soutenue par gens qui luy estoient affidez". Muni de lettres du sénéchal, un sergent d'armes vient au château de la Bastidette, demandant à parler à Hugues de Barasc, mais Hugues est absent. Le sergent ordonne alors à Ponce de Montmurat, capitaine des Barasc, et à ses compagnons de quitter le château sous peine de 10 marcs d'argent. N'ayant pu obtenir satisfaction, il doit les ajourner "aux jours de la sénéchaussée de Cahors".
Le sénéchal a du mal à se faire obéir "pour la grant nécessaire et résistance des affidés", car nous sommes en 1354 et la guerre de Cent ans est commencée. Les Anglais occupent déjà une partie du Quercy et le sénéchal ne peut envisager de distraire des troupes des combats pour régler des affaires privées. Il ne peut non plus heurter un seigneur dont il va avoir besoin pour participer au siège de Saint-Antonin.
Pourtant, l'affaire continue au plan judiciaire. Les coupables, cités en 1354 devant le parlement par le sergent d'armes Arnaud de Saint-Geniès, ne répondent pas à la convocation. Ordre est alors donné de les arrêter lorsqu'intervient un accord à l'amiable.
Marquès du Bouyssou et Jean de Gourdon, des amis communs aux deux parties, s'entremettent. Buxorn signe finalement, contraint et forcé, un traité qui donne la victoire à Barasc. Naturellement, Buxorn dénonce sa signature dès sa libération et poursuit Barasc devant le sénéchal, qui assigne Barasc et ceux qui avaient pris la Bastidette devant le parlement de Paris.
On ignore comment se termine l'affaire car les archives du parlement n'en ont pas gardé trace, mais il est probable qu'elle aboutit à une transaction : en règle générale, les procès avaient pour but de dire le droit. Ensuite, les compétiteurs trouvaient un arrangement, chacun faisant des concessions, afin d'éviter des haines inexpugnables engageant l'avenir.
Bouyssou a dû réussir à faire valoir ses droits car il hommage en 1362, à Guillaume de Thémines, seigneur de Thémines et Gourdon, pour Sabadel, Orniac et "Lauzeih" (Lauzès).
Il aura fallu plus de quinze ans pour que cette affaire soit réglée.
bullet_b.gif (912 octets)Conclusion : les Barasc pris en tenaille
Marcillac, Sabadel, Blars, Caniac, Saint-Cernin, Cabrerets, Sabadel... autant de lieux où apparaissent les Barasc et qui sont le siège d'incidents violents, répartis sur deux siècles et demi. S'agit-il simplement d'un hasard ?
Ecartons tout d'abord l'affaire des églises de Marcillac : les usurpations de dîmes sont si fréquentes aux XI-XIIè siècles, la confusion est telle entre laïcs et religieux (pas seulement sur les dîmes) que c'est de ne pas voir les Barasc pris dans ce genre de situations qui aurait été étonnant.
Les autres événements concourent à mettre deux éléments en évidence : les Barasc sont puissants et ils le savent (ils peuvent arrêter les poursuites lancées contre eux après le crime de Marcillac, ils n'hésitent pas à employer la force pour contester un héritage), mais pas suffisamment forts pour réussir à en imposer à leurs voisins plus puissants (les Cardaillac ou les vicomtes de Calvignac). Dans ce dernier cas, ils ne sont plus agresseurs, mais agressés.
C'est probablement là qu'est la clé du problème : les frontières des pouvoirs locaux sont floues, la lutte pour le pouvoir est continue. Les lignées s'affrontent : l'une profitant de sa supériorité du moment pour en imposer à l'autre qui, au contraire, cherche à modifier l'équilibre.
Les Barasc ne sont ni vraiment du côté des forts (ils perdent contre les Cardaillac), ni vraiment du côté des faibles (ils se pensent plus forts que les Buxorn). Ils étaient des barons, certes, mais de second rang, des seigneurs intermédiaires. De sorte qu'ils se retrouvent pris en tenaille, et doivent combattre sur deux fronts : en défense contre les "gros" pour conserver leur rang, en attaque contre les "petits" pour les éliminer ou les réduire à leur profit. Ils sont donc pris à la fois dans les conflits qu'ils subissent et d'autres qu'ils provoquent, c'est pourquoi nous les rencontrons si souvent.
bullet_b.gif (912 octets)Remerciements
Cet article doit beaucoup aux remarques érudites de Jean Lartigaut. Qu'il soit ici chaleureusement et amicalement remercié.
bullet_b.gif (912 octets)Références
  • ALAUZIER (Louis d'), "Un curieux règlement de succession au XIVè siècle", B.S.E.L., t. LXVI, 1945, pp. 81-83.

  • ALAUZIER (Louis d'), "Généalogie des Barasc", La France généalogique, 28-29, juillet 1963, pp. 101-118.

  • ALAUZIER (Louis d'), "Une assignation de revenus en Quercy et Périgord faite en 1287 au roi d'Angleterre", Bulletin Philologique et historique (jusqu'à 1610), année 1964, paru 1967, pp. 525-557.

  • ALAUZIER (Louis d'), Dénombrement de 1504 en Quercy, Société des Etudes du Lot, 1984-1985, 128 p.

  • ALBE (Chanoine Edmond), Monographies paroissiales, manuscrits (sans date mais antérieurs à 1926), Archives diocésaines de Cahors. Ont été utilisées ici les monographies des paroisses de Cabrerets, Béduer, Blars, Lauzès, Ornhac, Sabadel(-Lauzès), Saint-Cernin-du-Causse.

  • ALBE (Ed.) et Viré (A.), L'Hébrardie - Marcilhac (Lot). Histoire de l'abbaye de Saint-Pierre de Marcilhac, Brive, 1924

  • CALMON (Jean) et NIEDERLANDER (André), 1957, "Cabrerets, son château, ses seigneurs, son musée", B.S.E.L., t. LXXVIII, 1957, pp. 225-258.

  • LACOSTE (Abbé Guillaume), Histoire Générale de la Province de Quercy, 4 tomes, Cahors, 1883-1886 (réédition Laffitte Reprints, 1982).

  • LARTIGAUT (Jean, sous la direction de), Histoire du Quercy, Privat, 1993, 264 p.

  • Le petit nouvelliste de Cabrerets, Février 1934.

  • Archives départementales du Lot, Fonds d'Alauzier, (31 J).

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