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par l’abbé BOULADE

Ancien directeur d’une école libre à Toulouse, Membre de la Société des Études du Lot

Historai quoque modo
Scripta delectat.
PLINE

CAHORS - Imprimerie A. Laytou, rue du Lycée - 1873

Lettre de M. Ayna, inspecteur d’académie honoraire, président de la Société des Etudes du Lot, à M. l’abbé Boulade. 

Cahors, 17 août 1873. 

Monsieur l’abbé, 

Longtemps éloigné de ma ville natale par l’exigence de mes fonctions, je ne savais rien ou presque rien de l’antique manoir de Mercuès, dont j’admirais la masse hardie dominant au loin notre horizon. Votre Notice, dans laquelle vous avez habilement résumé les travaux épars des Delpon, des Gluck, des Dufour, des Guilhou parmi les contemporains, des Maleville, des Fouillac parmi les anciens, m’a fait revivre dans le passé de la villa des Comtes-Evêques de Cahors, et m’a servi de cicérone jusqu’à l’heure présente, signalée par les restaurations si intelligentes de Mgr Grimardias.

La chronique patoise (intédite indiquée à vos recherches par le manuscrit du savant abbé de Fouillac et que vous avez eu la bonne pensée de reproduire, donne sur le siège fameux de 1428 des détails du plus dramatique intérêt.

Votre travail sera un guide utile à tous ceux qui sont curieux des restes vénérables des siècles éteints et inspirera certainement le désir de visiter l’hospitalière demeure de nos Evêques.

Agréez, Monsieur l’Abbé et honoré confrère, la nouvelle assurance de mes sentiments respectueux. 

                       L. AYMA

 

LE CHATEAU DE MERCUES

 INTRODUCTION 

La science architectonique est liée à l’histoire de tous les siècles et l’on peut dire que les monuments sont eux-mêmes une histoire permanente qui s’adresse à la fois aux yeux et à l’esprit.

Les châteaux-forts du moyen-âge, dont quelques uns se tiennent encore debout, en présence des générations qui s’écoulent, peuvent fournir des enseignements précieux, non-seulement à l’archéologue, mais encore à l’historien. Ils nous rappellent, en effet, les grands événements dont ils ont été le théâtre, et si chacun d’eau avait conservé ses chroniques, leur histoire nous révélerait bien des scènes émouvantes, et nous dévoilerait souvent quels intérêts et quelles passions entraînèrent nos pères dans les différents partis politiques.

Parmi les forteresses féodales qui subsistent encore dans le Quercy, une des plus remarquables par sa position, par le rôle qu’elle a joué, les grands souvenirs qu’elle rappelle, est sans contredit le château de Mercuès. Comme tant d’autres, il n’a pas eu toujours ses chroniqueurs, et ceux qui ont travaillé à son histoire, ont été obligés de recueillir quelques souvenirs épars dans les vielles annales du Quercy. Parmi les auteurs qui ont écrit sur cette illustre demeure, les uns nous ont paru trop courts, car ils ont omis des détails qui peuvent vivement intéresser ; d’autres, sont un peu longs pour ceux qui ne vivent pas dans le monde de la science, et qui ne demandent que des notions générales sur les événements les plus saillants dont ce château a été le témoin. Nous avons pensé qu’en voguant entre ces deux écueils, une simple notice historique pouvait être lue avec plaisir et profit. Nous nous sommes contenté de recueillir dans les différents auteurs ce qui nous a paru le plus intéressant, et nous n’avons eu d’autre ambition, en écrivant, ces lignes, que de reconstruire, dans la mesure de nos forces, une intéressante histoire, en demeurant dans de justes limites.

CHAPITRE Ier 

Description. 

A huit kilomètres environ de Cahors, sur la cime d’une montagne, se dresse un majestueux édifice, dont les vieilles tours attirent de loin les regards du voyageur. Sa construction accuse l’architecture du moyen-âge et celle des temps modernes. Il paraît avoir été bâti sur les ruines d’un fort romain, appelé fort de Mercure (Castrum Mercurii), et peut-être aussi sur celles d’un temple consacré à ce Dieu par les vainqueurs de la Gaule. C’est du nom de Mercure que dérive celui de Mercuès, donné à ce château, qui, depuis le moyen-âge, a été la maison de plaisance des évêques de Cahors. On y a trouvé des vestiges d’antiquités romaines, des colonnes de marbre mutilées, des tombeaux, des médailles, dont la découverte a justifié ces diverses traditions.

Notre travail étant principalement historique, nous allons résumer, en quelques lignes, de longues pages écrites par les différents auteurs qui ont traité de la description archéologique de l’ancienne demeure des évêques de Cahors. 

L’antique manoir est environné de trois côtés par un large fossé ; au midi, il est défendu par l’abîme. C’est une vaste construction à trois compartiments, séparés par une cour. On y remarque trois tours placées aux angles extérieurs de l’édifice, la quatrième tour a dû être emportée par la construction nouvelle. D’immenses pieds de lierre, cette plante des anciens monuments, rampent le long de ces vieilles murailles.

Le château de Mercuès compte cinq étages, dans les parties les plus anciennes, et trois seulement dans les parties les plus récentes. Ses murs sont élevés sur des masses de roches calcaires.

Dans l’intérieur du château se trouvent de longues galeries et de très belles salles éclairées par de grandes fenêtres. L’une d’elles est un petit musée, un vrai monument historique, elle contient le portrait des évêques de Cahors, depuis saint Génulphe jusqu’à Mgr Grimardias inclusivement. Celle collection de portraits d’une belle exécution remonte, dit-on, aux siècles de Louis XIV et de Louis XV. Dans un autre salon quelques tapisseries de Gobelins représentent des scènes de mœurs de peuples orientaux. 

Ce n’est pas sans émotion qu’on entre dans la chambre où mourut le vénérable Alain de Solminihac, illustre par ses vertus et les œuvres de son épiscopat. “ On est surtout frappé de la grandeur imposante du salon de réception, qui conserve une partie de ses anciennes décoration : les sculptures en plâtre, qui sont d’un beau travail, dessinent une immense table ; les moûlures des murs marquent les encadrements de nombreux médaillons et des armoiries des évêques de Cahors. Ce salon communique avec d’autres de forme carrée : l’un deux est appelé la “ chambre du Cadran ”, parce que le soleil y mesure les heures du jour ; un autre est nommé le Belvédère, à cause de sa position, d’où l’on jouit d’un coup-d’œil ravissant (*). ”

Dans la salle à manger, d’un aspect sévère, se trouvent deux bahuts sculptés et d’autres meubles d’un style ancien ; l’on conserve, dans un des salons, du château, une glace donnée par Louis XIV à Mgr de la Luzerne, évêque de Cahors.

La chapelle, récemment restaurée, est décorée de vitraux peints, encadrés avec goût dans des fenêtres gothiques.

Du salon des évêques on arrive sur un joli balcon en pierre d’où part un large escalier, jeté comme un pont au-dessus du fossé pour arriver à la grande terrasse. Les pentes raides de la montagne rendaient ce château inabordable avant que l’art en eût adouci les versants.

Autour du château, on admire les jardins variés, un cèdre presque centenaire et surtout la terrasse, d’où l’on jouit d’un splendide coup d’œil sur la vallée du Lot. 

CHAPITRE II 

Histoire 

 A quelle époque les évêques de Cahors devinrent-ils possesseurs de cet emplacement ? C’est ce qui reste caché dans la nuit des temps. Il est parlé de ce lieu célèbre dans la vie de saint Didier, vénéré dans le Quercy sous le nom de Saint Géry, qui vivait au VIIe siècle, il y est désigné sous le nom de Camp de Mercure ; ce qui pourrait laisser supposer qu’il y avait un fort, mais ce n’est qu’une simple conjecture, car il n’y avait pas les forts dans tous les camps. Cependant, comme les parties, les plus anciennes du bâtiment actuel ne remontent guère au-delà du XIII siècle, on peut en attribuer la construction aux évêques de Cahors, surtout si l’on remarque que ce devait être une redoutable forteresse ; c’était en quelque sorte la sentinelle avancée de la cité, et il n’est pas étonnant que le château de Mercuès ait joué un grand rôle dans les longues guerres qui ensanglantèrent, au moyen-âge, tout le midi de la France. On ignore quels furent les premiers maîtres de ce château ; il est même impossible de déterminer à quelle époque les évêques de Cahors en devinrent possesseurs. Ce fut sans doute dans la période féconde du XIIIe siècle, pendant laquelle la piété de nos pères posait sur le sol de si magnifiques monuments religieux, quand l’on vit les évêques de Cahors ajouter au pouvoir spirituel un pouvoir temporel et féodal sur une partie considérable de leur diocèse, et marcher au rang des plus puissants seigneurs de la province.

*
*    *

“Les évêques de Cahors, dit M. l’abbé Poulbrières, jouissaient autrefois d’une prérogative peu commune : quand ils offraient solennellement le très Saint-Sacrifice, ils avaient les bottines aux jambes et l’épée au côté, les gantelets et la bourguignotte sur l’autel. Ces prélats s’étaient dits sans doute qu’en revêtant deux titres, ils avaient assumé deux devoirs, et gardiens de leurs peuples, en même temps que ses pasteurs, ils suspendaient leur houlette à l’instrument des combats. ”

M. Emile Dufour résume ainsi la puissance du siège épiscopal de Cahors, soit au moyen âge soit dans les siècles suivants jusqu’à la révolution française. “ L’évêque de Cahors était l’un des plus puissants du royaume, comte et baron de sa ville épiscopale, seigneur direct et suzerain de trente-et-une des paroisses, les plus belles et les étendues de son diocèse ; des prérogatives extraordinaires étaient attachées à son siège : droits spirituels et temporels, pouvoir religieux et féodal, il réunissait tout, il résumait tout. ”

Protecteurs et surveillants de l’Université, ils avaient le droit de battre monnaie, et ils en usèrent, dit M. Barthélemy, élève de l’école de Chartres. Une tradition, assez vraisemblable, prétend, que l’évêque Barthélèmy, qui conçut le projet de la construction du magnifique pont Valentré, fit battre une monnaie spéciale, destinée au salaire des ouvriers. Nous voyons l’évêque Gérard céder la moitié de sa monnaie au chapitre de sa cathédrale. On ne trouve pas le nom des prélats sur leur numéraire : les monnaies de l’évêché de Cahors représentent un crosse avec deux croisettes et la lettre A….

“ Comme vassal de l’évêque de Cahors, le seigneur de Cessac assistait à sa première entrée dans la ville, ayant la tête nue et un pied nu et tenant par la bride

la mule que montait le prélat. Ce jour-là, il servait à table le nouvel évêque, mais le buffet de ce premier repas devenait sa propriété (*). ”

“ L’évêque de Cahors était seul justicier des châtellenies de Puy l’Evêque et Belaye, de Castelfranc, du Bas, Mercuès, Pradines et Cajarc : il était en outre seigneur, conjointement avec Sa Majesté royale de Cahors, de la baronerie de Luzech et du marquisat de Cessac. – L’évêque avait un droit exclusif sur toute les eaux de sa temporalité, de même que les hommages dans toutes ces terres, avec temples, privilèges seigneuriaux, de manière qui tous les habitants de ces endroits n’étaient tenu, de rien envers le roi, il avait aussi le droit de maîtrise, c’est à dire d’accorder le brevet de maître aux ouvriers qui en étaient jugés capables. ”

(Manuscrit de Malleville) 

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Il est probable que les évêques de Cahors, pour protéger la cité, qui était confiée à leur garde contre les attaques, soit des Anglais, soit des bandes de routiers qui désolaient les campagnes et rançonnaient même les villes, firent construire ce château-fort. Il ne faut pas oublier que ce fut par le soin de ces prélats que fut élevée l’enceinte de Cahors, dont une partie subsiste encore ; et comme par sa position, Mercuès était presque inexpugnable, qu’il défendait les approches de la ville, et commandait la vallée du Lot, ils voulurent sans doute ajouter de nouvelles fortifications à celles qu’ils venaient d’élever. Les événements du XIVe et du XVe siècles ne tardèrent pas à montrer quels services les évêques venaient de rendre à la cause l’indépendance du pays.

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Quand le traité de Bretigny (1360) eut livré à l’étranger la pleine souveraineté de nos provinces, du centre et du midi et en particulier celle du Quercy, nos pères firent de généreux efforts, pour reconquérir leur liberté ; grâce à ce patriotisme, qui d’ailleurs n’a jamais manqué aux habitants de cette province, une grande partie du Quercy demeura affranchie de la domination anglaise. Et Bertrand de Cardaillac, évêque de Cahors, lutte énergiquement contre le joug étranger, il refuse de prêter serment au roi d’Angleterre. Bec de Castelnau, son successeur, marche sur ses traces, et ne veut pas résider à Cahors pour gouverner son diocèse, tant qu’il est au pouvoir de l’étranger. Cette résistance amène bientôt un soulèvement général ; la domination anglaise est à jamais bannie de Cahors ; les autres villes du Quercy ne tardent pas à secouer un joug odieux, pour se soumettre à l’autorité du roi de France, et le 12 septembre 1370 Bec de Castelnau fait son entrée triomphante à Cahors. Cependant les Anglais conservaient dans le Quercy un certain nombre de châteaux-forts ; dans le nombre se trouvait Mercuès.

En 1428, les consuls de Cahors, pour mettre un terme aux dépradations des compagnies anglaises, qui l’occupaient à la tête d’une troupe nombreuse, se dirigent sur Mercuès ; ils l’investissent et l’attaquent vigoureusement. Mais la position était si forte, les murailles et les tours du château si solides, que la résistance fut facile. En outre, un chef anglais avec 1500 hommes vint secourir ses compatriotes assiégés ; après une lutte vigoureuse, les deux partis entrent en négociations, et les Anglais consentent à se retirer, moyennant une pièce de Damas, et 1,600 moutons d’or. (*).

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L’abbé de Fouillac, dans son précieux manuscrit, t. II, page 474, dit : “ Il existe dans les archives de la ville un acte écrit en langue vulgaire, très-curieux, parce qu’il renferme dans les détail de ce siège. ” Ce manuscrit, n’ayant été publié dans aucun des ouvrages qui ont paru sur Mercuès, va donner à notre travail un intérêt particulier et une physionomie nouvelle.

Nous allons présenter la traduction de ce précieux document, en éliminant certains détails un peu longs, qui pourraient fatiguer le plus grand nombre de nos lecteurs ; nous nous contenterons de citer les points les plus intéressants de cette charmante chronique patoise.

“  Sous le règne de Charles VII, les Anglais possédaient le château de Mercuès, dont ils s’étaient emparés par surprise.

“  Une fois maître de cette place forte, ils se livrèrent (dit le manuscrit) aux plus grands excès s’avancèrent jusqu’aux portes de la Barre, prirent onze jeunes gens et maltraitèrent deux vieillards qu’ils rencontrèrent dans la chapelle de Ste Valérie, située sur le chemin de Cahors à Mercuès ; renforcés par de nouvelles bandes, ils devinrent tous les jours plus audacieux.

“  L’évêque de Cahors, Guillaume d’Arpajon, appela dans cette ville plusieurs seigneurs (dont les noms suivent), afin de se concerter avec eux et avec les consuls de Cahors, sur les moyens d’arrêter les dépradations. Il fut convenu entre eux que l’on convoquerait les états du Quercy, le 8 septembre, et l’Evêque écrivit en conséquence au sénéchal du Quercy, et aux différentes communes des lettres de convocation, avec ordre de la part du Roi, de se rendre le jour marqué. L’Assemblée eut effectivement lieu, et l’on décida que l’on se mettrait en campagne, et que l’on reprendrait le château occupé par les Anglais. On remit l’ouverture de la campagne à l’an prochain 1428. En attendant les consuls de Cahors prirent des mesures particulières, pour arrêter les courses de l’ennemi. Les mêmes consuls firent savoir à la noblesse et aux principales communes du pays, de venir faire le siège du château de Mercuès. Au mois de Juillet et d’Août de la même année, on vit arriver un grand nombre de seigneurs parmi lesquels était Bertrand d’Arpajon, de l’ordre des chevaliers de Rhodes, commandeur de la chapelle Livron, près de Caylus, c’était le frère de l’évêque de Cahors. Homme de guerre d’une grande valeur, il entra dans Cahors avec 9 hommes d’armes et 16 arbaletriers. Suivent les noms de 9 autres seigneurs, menant tous avec eux des hommes d’armes et des arbaletriers, en tout on comptait 111 hommes d’armes  et 88 arbaletriers, formant la petite armée, qui devait être grossie par les bourgeois de la ville de Cahors, et les vassaux de l’évêque. Ils commencèrent par s’emparer du château de Concorès. Après ce premier fait d’armes, les Quercynois forment le siège de Mercuès, dont le manuscrit nous a conservé les précieux détails. La narration en patois dit que l’arsenal de la ville fut complètement vidé dans cette occasion. “ Las ampadas, la cata, la brida, las bombardas, ” et autres instruments de guerre furent placés sur plusieurs bateaux, qui descendirent le Lot, sous la conduite d’un marinier de Cahors. A cette occasion, le manuscrit nous apprend que la brida était une machine qui servait à lancer de grosses pierres contre les tours et à briser leurs toits. Quant aux bombardas, c’était probablement des canons de fer de différents calibres. Quoiqu’il en soit, tous les engins de guerre furent transportés au moyen de bâteaux jusqu’à Mercuès, où on dirigea la cata et la brida vers le château, et on laissa plusieurs canons sur la flottille, pour pouvoir battre les deux rives, en cas de l’arrivée des renforts Anglais.

“ Ici, commence le siège proprement dit : les assiégeants construisent une bastide en bois, qui devait dominer le mur de l’enceinte du château, et empêcher aux renforts anglais l’approche de la place. Il y eut plusieurs attaques, mais le château était très-fort (era moult fort et bastit de forta murailla espessa).

“  Les assiégeants n’avançaient pas suivant leur désir : déjà la plus grande partie de la toiture du château et des tours, fut abîmée sous le poids des pierres lancées par la brida, on ne parlait nullement de capitulation, et la garnison du château espérait, non sans raison, d’être promptement secourue. En effet, le mardi 7 septembre, à la hora de prima que era la vespera de Nostra-Dama, dit le manuscrit, un grand nuage de poussière s’éleva tout à coup, du côté d’Espère, on entendit bientôt une éclatante sonnerie de trompettes : c’était le chef des Anglais, le redoutable captal de Buch, qui arrivait avec 1500 hommes  de troupe d’élite, au secours de la place. Malgré le feu de l’artillerie quercinoise, les Anglais marchèrent hardiment vers le château en gravissant la pente qui y conduit ; mais là ils se heurtent contre la bastide par les assiégeants, et sont obligés de se replier sur le Lot, où étaient leurs bagages. Les quercinois s’attendaient à un nouveau combat à la pointe du jour, mais au lieu de l’ennemi, ils virent un héraut d’armes du captal de Buch, qui leur déclare que les Anglais sont disposés à évacuer la place, pourvu qu’on leur donne une rançon convenable.

“ Le conseil de guerre se réunit dans le camp quercinois ; les avis étaient partagés ; les uns voulaient continuer le siège ; d’autres furent d’avis de transiger, et il fut convenu que le château serait rendu, moyennant la somme de 1,600 moutons d’or et une pièce de Damas. Le fier captal de Buch, n’a pas voulu signer cette convention ; qu’il croyait honteuse pour lui : il chargea un félon quercynois, partisan des Anglais, d’assumer sur lui cette responsabilité :

c’était le fameux Bernard de Durfort, seigneur de Bossières. Le quercynois, au lieu de fortifier le château, l’ont brûlé par vengeance, l’ont démantelé et miné, voulant en quelque sorte exercer des représailles, sur ces ruines, de tous les maux que le pays à soufferts. ” 

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Cependant le Quercy devait souffrir encore de la tyrannie des oppresseurs. Jean de Caylus, de Castelnau, héritier du siège et de l’âme de Jean Bégon, prit à cœur d’achever l’œuvre de la délivrance de son pays. La vierge de Vaucou- leurs venait de répandre, dans toute la France, son ardent patriotisme et sa haine de l’Anglais ; l’élan était donné et la mort de la Sainte martyre ne devait pas l’arrêter. Jean de Castelnau réunit à ses frais les Etats du Quercy : on n’a pas de détails sur les mesures concertées dans cette assemblée. On sait seulement que bientôt l’Anglais, battu sur tous les points dut quitter la province et ne plus y rentrer.

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Dans le XVIe siècle, la réforme apporta de nouveaux sujets de discorde et de guerre civile : la vieille province du Quercy devait avoir sa part dans ces luttes religieuses, et le château de Mercuès ne fut pas épargné. En 1562, Duras Durfort, un des chefs du parti calviniste, se présente deux fois devant Cahors, il est deux fois repoussé ; il traverse le Lot, se dirige vers Mercuès, et s’empare du château. L’évêque Pierre Bertrandi, qui jouissait d’un calme profond dans sa villa, est fait prisonnier et conduit à Sarlat.

Nous trouvons quelques détails sur cette prise de corps de ce vénérable pontife, dans un manuscrit patois de Jean Trémeille, prêtre de Saint Céré. Nous pensons que cette citation plaira au lecteur, en nous appuyant sur les témoignage de Pline qui dit : Historia quoque modo scripta délectat.

“ L’an 1562, lou jour de St-Miquial, ou lou jour d’avant, au susdit, fouvet prés Mousseur l’Evesqué de Caors (Monseigneur Pierre Bertrand) al castel de Mer cuès, près de Caors, mais las gens dat dit Caors tengerou fermé et nou intrerou qu’après ladito préso de Moussu de Caors ; éro présent un capitany nommat Mousseur de Duras. ”

(Pièce qu’on ne trouve pas dans les autres auteurs qui ont parlé de Mercuès.)

Le vaillant Blaise de Montluc, chef de l’armée catholique dans le Quercy, après s’être adjoint des guerriers dirigés par un prélat belliqueux, Jacques Desprès, évêque de Montauban, surprit les protestants, dispersa leur armée et mit l’évêque de Cahors en liberté ; mais le prélat, mini par les fatigues de son  ministère, accablé par l’âge, et les souffrances de sa captivité, ne tarda pas à succomber.

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Au XVIIIe siècle, les guerres de religion avaient cessé ; mais la famine et la peste désolaient le Quercy, Mercuès changea de destination : le château fort devint l’asile des pauvres, comme deux cent cinquante ans plus tard, il devint le refuge des blessés. L’évêque Habert songe à soulager ses infortunés diocésains ; il appelle à Mercuès 800 malheureux afin de les protéger de sa charité contre la maladie et la misère qui désole Cahors et les alentours ; il prend tous les moyens que lui suggère son cœur, pour satisfaire aux besoins de cette foule affamée, il triomphe de tous les obstacles, subvient à tous les besoins, et utilise la présence de cette multitude d’hommes de femmes et d’enfants, pour exécuter à Mercuès de grands travaux.

C’est à cette époque, mémorable dans les annales de l’antique manoir, que des précipices furent comblés ; qu’on transporta des terres sur des rochers arides ; que des terrasses furent construites et des promenades pratiquées ; que des vergers et des charmilles embellirent ces lieux, et les convertirent en jardins riants ; tout prit un nouvel aspect, et l’édifice, bouleversé par les guerres du moyen âge, est en partie reconstruit.

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Peu le temps après l’exécution de ces travaux, le château de Mercuès fut destiné à subir une nouvelle épreuve ; en 1627, une troupe d’insurgés, qui se plaignait de l’accroissement des impôts, s’empara du vieux manoir et le saccagea. C’est de là que les audacieux lancèrent des proclamations, pour exciter le pays à la révolte. Ces excès continuèrent dans toute la province, et ne cessèrent que lorsque les habitants de Figeac eurent dispersé ces troupes indisciplinées. Elles furent battues sur tous les points, et leurs chefs, faits prisonniers, furent livrés au supplice.

Les constructions de Mercuès n’avaient pas souffert dans leurs parties principales ; cependant, vers la fin de ce siècle, d’importantes réparations y furent exécutées : elle continuèrent à l’agrandir et à l’embellir. Après l’évêque Habert, Mgr. Le Jai et Mrg. Briqueville de la Luzerne sont les prélats qui ont le plus  contribué à restaurer ce château : la partie occidentale est attribuée à ce dernier évêque. Le vénérable Alain de Solminhiac s’éteignit, en 1659, au château de Mercuès. Dans l’alcôve de sa chambre était un lit antique, regardé généralement (quoi qu’on l’ait contesté) comme une relique de ce vertueux prélat. Ce modeste meuble est en forme de dais, soutenus par quatre colonnes : on y voyait autrefois une partie des rideaux en serge rouge : Une des plus belle gloires du château de Mercuès est d’avoir servi d’habitation à ce saint évêque.

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*   *

La révolution Française, qui a laissé tant de ruines sur son passage, ne détruisit pas le château de Mercuès. Le peuple se souvint que les seigneurs de cet illustre manoir avaient été ses bienfaiteurs et il respecta leur villa de prédilection. Après 1793, il changea plusieurs fois de maître. Mgr Balthazard Cousin de Grainville en devint aussi possesseur. Après sa mort, le château redevint une propriété particulière, et resta presque inhabité. Vers la fin de son épiscopat, en 1861, Mgr. Bardou l’acquit de M. Lacoste-Lacroux, y exécuta d’importants travaux et le donna par testament au petit séminaire de Montfaucon, qui l’a vendu à Mgr. Grimardias. Ce prélat, ami des arts, a voulu rendre à cet édifice sa première splendeur et son ancienne destination : le château de Mercuès est aujourd’hui une admirable villa, et ses tours, nouvellement restaurées, rappellent au passant la puissance de ses anciens maîtres et le goût éclaire de son possesseur actuel.

CHAPITRE III 

UNE VISITE A MERCUES

Ayant eu l’honneur d’être invité par Mgr Grimardias, l’évêque actuel de Cahors, à passer une journée dans ce célèbre manoir,  j’examinai avec un grand intérêt les importantes réparations qu’il vient d’y faire exécuter, et j’ose affirmer, sans crainte d’être démenti, que le prélat mérite de briller au nombre les plus remarquables restaurateurs de ce monument.

En présence de ces lieux, qui favorisent si bien les inspirations poétiques, et séduit par une noble hospitalité, sans avoir la prétention d’être poète, je ne pus m’empêcher d’écrire quelques vers, en me promenant sur la terrasse du château. Je me permets de reproduire ici ceux qui se rapportent à la description de Mercuès et de son aimable châtelain, parce qu’ils rentrent dans mon sujet : 

MERCUES 

Heureux hote aujourd’hui, je vois ce vieux château
Ses tours s’enveloppant dans leur manteau de lierre,
Ce haut cèdre, ce bois couronnant le coteau,
Et sa terrasse en fleur que baigne la rivière,
Où la verte charmille étale son rideau.
Puis sous de noires tours, que dore la lumière,
J’aperçois Divona dans un riant tableau.
A l’aspect des décors, ciselés dans la pierre,
De ces vastes salons de grands souvenirs pleins,
Décorés de portraits, tendus de Gobelins,
J’admire du prélat la vive intelligence,
Qui sait rendre à ces lieux leur splendide élégance.
D’un Pape, ami des arts, en lui je vois les traits.
Qui mieux que Monseigneur caressa leurs attraits ?
Embellis par ses mains, ce par cet ces murailles
M’ont fait ressouvenir des splendeurs de Versailles.

AU CHATELAIN DE MERCUES 

De ce Mécène tant chanté
Est ici le parfait modèle :
Philosophe sans âpreté,
Plein d’ardeur pour la vérité,
Au bon goût jamais infidèle,
Vrai gentilhomme sans fierté,
Grand seigneur plein d’aménité,
Vous qui parfois, dans des soirées,
Nous dites vos hautes pensées,
Je me rappelle ces moments
Que votre esprit rendait charmants.
J’aime à vous voir toujours aimable,
A vos auditeurs très heureux,
Vous rendre toujours agréable,
Et vous mêlant à tous leurs jeux.
Lorsqu’en ce parc on vous visite,
Des heures, qui coulent trop vite,
On voudrait ralentir le cours ;
Avec grand regret on vous quitte.
Et chacun voudrait dans ce site
Auprès de vous couler ses jours.

*
*   * 

A la vue de ce site remarquable, en présence de cet édifice majestueux, renfermant les portraits précieux des évêques de Cahors et les armoiries de ces seigneurs si puissants au moyen âge, en réfléchissant sur  tous ces reflets de grandeur, qui ne sont plus, on comprend le rôle important que le château de Mercuès a dû jouer dans les guerres de la province, l’influence que, par la voix de ses prélats, l’église exerçait sur les peuples, et les efforts que plusieurs évêques du Quercy ont faits, pour sauver l’indépendance de leur pays contre l’invasion anglaise. A leur tête brillent Bertrand de Cardaillac et Bec de Castelnau.

*
*   * 

On ne peut oublier les efforts généreux qu’ils ont déployés contre le protestantisme, et cette époque nous redit les noms glorieux de Pierre Bertrandi, de Jean de Balaguier et d’Antoine-Ebrard de Saint-Sulpice, qui fut jugé digne, par sa science et ses vertus, d’être sacré évêque de Cahors à l’âge de vingt-deux ans. Ce sont les évêques de Cahors, résidant à Mercuès, qui, comme des phares radieux, ont éclairé les peuples du vieux Quercy, les ont civilisés par la sainteté de la morale évangélique, la culture des lettres et des sciences. Parmi  ces grandes figures d’évêques, on compte plusieurs cardinaux, de grands saints, dont la chaîne se termine par le vénérable Alain de Solminihac, “qui, jeune encore, appelé à la cour pour recevoir un évêché, faisait tous ses efforts pour s’y soustraire. Ayant échoué devant Richelieu, il alla droit au Roi, se jeta par trois fois à ses pieds, le suppliant de retirer sa décision et de ne pas lui imposer une charge si redoutable. Louis XIII, vivement touché de tant d’humilité, leva  les mains au ciel et s’écria : - Dieu soit béni de ce que dans mon royaume il  y a  un abbé qui refuse des évêchés, et au lieu d’accéder à la demande de cet étrange solliciteur, il jugea dès ce moment que l’évêché, qu’il lui destinait, n’était pas assez important, et il le nomma à celui de Cahors, l’un des plus considérables de France (*) . ” 

Alain de Solminihac se plaisait à Mercuès, comme ses prédecesseurs, qui trouvaient dans cette délicieuse retraite le calme dont ils avaient besoin, pour se livrer au recueillement de l’étude, pour se retremper aux sources pures de l’amour divin et préparer les travaux de leur apostolat.

L’ABBE BOULADE,
Ancien directeur d’une école libre à Toulouse,
Membre de la Société des Etudes du Lot.

 (*) Emile Dufour.
 

Cette Notice a été publié dans le Bulletin Municipal de Mercuès en janvier 2004.

 

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